Dominique de Roux eut trente ans sous De Gaulle, Rémi Soulié a trente ans sous Chirac. Oubliés les fastes de la dissidence gaullienne, les rêves de troisième voie, l’aventure géopolitique et l’utopie métaphysique, ne reste plus à un jeune Français que la colère. Sous le ciel de la fin de l’Histoire, certains l’ont plutôt chagrine. Sous l’invocation de Dominique de Roux, auquel il rend un flamboyant hommage, l’écrivain l’a plutôt joyeuse, certain des recommencements, du retour des grands temps.
«Rêvons un peu à une France vomissant ses tièdes et ses mous ! Plus de sociaux démocrates ni de démocrates chrétiens, plus de libéraux-sociaux ni de sociaux-libéraux ! La politique enfin restaurée en mystique par quelques royalistes, des gaullistes métaphysiques aussi et des révolutionnaires intacts à la Fajardie !» Dès la première page, l’homme de guerre si prompt à adopter le style et les visions de son héros, déploie sa bannière, indifférent au nombre des combattants, sûr de leur qualité. Tout livre est un appel, répétait Georges Bernanos, et tout appel veut être entendu. Celui de Rémi Soulié nous va droit au cœur.
Sur la page de titre, Les Châteaux de Glace de Dominique de Roux portent la mention «essai», mais c’est «manifeste» qu’il faut lire. Nous n’avons pas affaire à l’œuvre d’un homme seul, le dos au mur, la baïonnette sur le ventre, prêt à mener le dernier combat. Mieux qu’une corne de brume, son livre est une chambre de résonance pour la colère d’une poignée de jeunes gens au cœur sombre («Young Turks» selon Art Press nº247, juin 1999) nés après mai 1968, et las de la dictature des «crétins en rouges» devenus des «apologues du marché».
Que ce petit groupe familier des maquis, des cénacles, des catacombes ait élu Dominique de Roux pour saint patron, qu’il ait choisi de revisiter en sa compagnie l’histoire confisquée de ces cinquante dernières années, qu’il ait décidé de relire avec lui les œuvres de Rimbaud, Nietzsche, Joyce, Jünger, Pound, Mishima, Céline, Gombrowicz, Bataille, Artaud, Heidegger est évidement un signe. La voix de Dominique de Roux s’obstine, pareille à l’œil d’Abel accusant Caïn jusque dans sa tombe.
Rémi Soulié l’a fait magnifiquement entendre dans l’ivresse d’une lecture qui ne dure pas seulement une nuit, comme celle du Nimier rédigeant Le Grand d’Espagne, mais un mois, au cours duquel le soleil d’Albi eut l’occasion de réchauffer sa colère. La Mort de Louis-Ferdinand Céline, Immédiatement, Maison Jaune, Le Cinquième Empire : ces livres ne sont pas, ne peuvent pas être simplement des souvenirs. Ce sont des œuvres avec lesquelles il faut vivre. Elles seules nous permettent de juger le passé, d’observer le présent, d’envisager l’avenir.
Prophète et poète, leur auteur reste le témoin capital de notre temps. Entre le moment où Guy Debord fit paraître La Société du spectacle et celui où Dominique de Roux disparut, dix années s’écoulèrent, dix années au cours desquelles tout se noua. Lorsqu’on reprend les livres de certains contemporains du fondateur de L’Herne, on se demande s’ils avaient des yeux pour regarder le monde. Lorsqu’on ouvre Ne traversez pas le Zambèze, Contre Servan-Schreiber, La France de Jean Yanne, on est saisi par l’intelligence extralucide de leur auteur, par sa volonté de réconcilier les contraires, par la beauté guerrière de sa tristesse, par sa capacité à désespérer jusqu’au bout, fidèle jusqu’à ce que son cœur lâche à l’injonction de Bernanos.
«Mourir, oui, mais lentement» : les publicitaires, les éditorialistes et les curés démocrates seront effrayés de voir un garçon de trente ans emprunter cette maxime à Dom Sebastião, le roi caché dont Dominique de Roux, jusqu’à la fin, attendit le retour calme et secret. Rémi Soulié ne se prive pas du plaisir aristocratique de déplaire. «A l’inverse des vertueux, je n’hésite pas à dire que j’aurais été stalinien sous Staline, mussolinien sous Mussolini, franquiste sous Franco, salazariste sous Salazar, pétainiste sous Pétain, castriste sous Castro ; j’aurais été de tous les totalitarismes et je préviens, je serai du prochain.». Il dissémine ses provocations entre les pages de son livre comme d’autres disposent du papier tue-mouches dans leur cuisine. Les combats qui se préparent, nous dit-il, seront solaires et joyeux. Et puisqu’il faut mourir, ce sera dans la bonne humeur, les poches pleines de poésie et de grenades incendiaires, sous l’œil d’or du hibou métaphysique, le comte Dominique de Roux.
Biblio
Rémi Soulié, Les Châteaux de Glace de Dominique de Roux, Les Provinciales/L’Age d’Homme, 1999.
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