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Apothéose de Charles Perrault
 
 

Nous revenons à Charles Perrault comme à la maison de notre jeunesse, sûrs d’y éprouver un bonheur neuf. Qui n’a pas rêvé d’enfiler les bottes de sept lieues, ne s’est pas pris pour le marquis de Carabas, n’a pas transpercé la Barbe bleue avec son épée, ne sait pas ce que sait que l’enfance. La magie Perrault, ce sont les phrases — Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? Je ne vois rien que le soleil qui poudroie, et l’herbe qui verdoie —, sues par cœur — Tire la chevilette, la bobinette cherra —, et répétées comme des prières. Cher vieux Perrault ! «Saint Perrault», comme l’appelait Bernanos qui s’y connaissait. Toujours doué pour imposer un trait inattendu, raconter l’ascension d’un fils de meunier, faire rimer ses moralités. Ni Walt Disney, ni la psychanalyse n’ont pu nous le confisquer.


«Triste tout cela ! aurait un jour confié Louis XIV à Mansart sur un chantier. Remettez moi de l’enfance là-dedans !» Premier commis de Colbert à la Surintendance des Bâtiments du Roi, benjamin de quatre frères qui honorèrent leurs temps, Perrault ne devait pas être loin. Maître d’œuvre à Versailles d’un labyrinthe de verdure inspiré par les fables d’Esope, il n’eut de cesse de remettre de l’enfance dans son siècle, attentif au souhait de son ami La Fontaine : Si peau d’âne m’était conté, / J’y prendrais un plaisir extrême ; / Le monde est vieux, dit-on ; je le crois cependant / Il le faut amuser encor comme un enfant. Réformateur de l’orthographe, champion de Lully et de la tragédie lyrique à la française, confident de Quinault, du peintre Le Brun et de l’abbé de Choisy, animateur de la Petite Académie, adversaire de Racine et Boileau à l’Académie française avec son fameux poème Le Siècle de Louis le Grand (1687), auteur d’une Apologie des femmes (1694) composée en réponse au livre X des Satires de Despréaux, poète chrétien et ami fidèle de ces Messieurs de Port-Royal, Perrault fut un agitateur capital en son siècle.


Oubliées la Querelle des Anciens et des Modernes — La belle Antiquité fut toujours vénérable, / Mais je ne crus jamais qu’elle fut adorable —, une carrière politique à laquelle Louvois mit fin à la mort de Colbert en 1683, les controverses avec Boileau avec qui il se réconcilia par l’intermédiaire du Grand Arnauld en 1694, Perrault avait soixante-neuf ans lorsqu’en 1697 il publia les Histoires et contes du temps passé, huit récits en prose auxquels furent ajoutés trois premiers contes en vers. On se déchire encore sur leur signification, leur origine, leur attribution. Des naïfs s’obstinent à les considérer comme une création insolite, incapables d’observer qu’ils marquent le triomphe de la taille douce à la française sur le burin antique. Dans ses Contes, Perrault ne puise plus son inspiration chez Plaute comme Molière, chez Euripide comme Racine ou chez Ésope comme La Fontaine. Ses histoires procèdent du vieux fonds français courtois et précieux, elles sont le fruit d’une littérature nationale ayant élu la vivacité enfantine contre la lourdeur des pédants.


Comment méconnaître leur simplicité naïve, leur mélange de vray-semblable et de merveilleux, leur manière de revenir à l’âge d’or de notre langue en commençant par «Il était une fois» ? Comment oublier les vers sublimes où il est question d’«une Robe qui soit de la couleur du Temps» ? Comment négliger leur auteur qui nous apprend, dans ses Mémoires, qu’il intervint auprès de Colbert pour que le jardin des Tuileries restât ouvert au public ? «Je suis persuadé, insista-t-il, que les jardins des rois ne sont si grands et si spacieux qu’afin que tous leurs enfants puissent s’y promener.» Cher vieux Perrault ! Tant qu’il y aura des citrouilles à transformer en carrosses, des princesses endormies pour cent ans, des ogres prêts à dévorer nos rêves, nous n’avons pas fini d’avoir besoin de vous.



 

 

 

     
 
 
   
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