On devrait dire
de certains écrivains qu’ils
sont nés à la guerre
comme on dit que d’autres y
sont morts. Ainsi Maurice Genevoix
éprouva-t-il sa vocation entre
août 1914 et avril 1915, sur
ces côtes de Meuse qui furent
le tombeau d’Alain-Fournier.
Il avait vingt-quatre ans, sortait
de l’École Normale Supérieure
et n’avait encore rien publié.
Sous-lieutenant puis lieutenant au
106e régiment d’infanterie,
il participa à bataille de
la Marne, aux assauts de la crête
des Eparges et aux combats dans la
Tranchée de Calonne.
Blessé de trois balles et évacué,
il employa sa convalescence à
la mise en forme de ses carnets de
guerre parus en cinq volumes entre
1916 et 1923 puis repris sous le titre
général Ceux de 14 un
quart de siècle plus tard.
Dans la réédition de
cet ensemble qui est aujourd’hui
proposé assorti de trois ouvrages
postérieurs, huit mois de campagne
occupent près de sept cent
pages. Une densité qui manifeste
la précision d’un témoignage
où les événements
politiques, les tractations diplomatiques
et le passé des différents
protagonistes s’effacent pour
ne laisser de place qu’au quotidien
des soldats sur quelques kilomètres
d’un front étendu de
la mer du Nord à la frontière
suisse. Avec un profond sens des êtres,
Maurice Genevoix peint la souffrance,
l’angoisse et les espoirs des
poilus et montre comment, dans une
puanteur de chair morte et dans la
boue poisseuse, la résignation
se substitua lentement à l’héroïsme.
Rien d’inutile dans les descriptions
poignantes qui disent le destin de
soldats transformés en quelques
mois en fantômes fangeux collés
à la glèbe. Le dépouillement
extrême de Ceux de 14 et leur
majesté taillée dans
le marbre confèrent à
ce livre trop souvent méconnu
une dimension hiératique, antique
et tragique. Une mesure qui autorise
à penser que ce récit
incomparable est à la Grande
Guerre ce que les Helléniques
de Xénophon sont à la
Guerre du Péloponnèse
et les Commentaires de César
à la Guerre des Gaules.
Biblio
Maurice Genevoix, Ceux de 14,
Omnibus, 1998.
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